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Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


Esquisses sur la Turquie des années 1990 (1) - La mort de Djokhar Dudaïev (avril 1996)

Publié par Etienne Copeaux sur 13 Avril 2010, 12:40pm

Catégories : #La Turquie des années 1990

(dernières modifications : 9 janvier 2012)

 

Le 21 avril 1996, la mort tragique de Djokhar Dudaïev, leader des Tchétchènes, abattu par un missile russe, a secoué le monde nationaliste turc, qui lui a rendu hommage par des cérémonies religieuses le 26 avril.

Les comptes rendus des quotidiens sont en conformité avec leurs lignes éditoriales, et la mort de Dudaïev est devenue un événement intérieur, révélateur des tensions de la scène politique en cette période précédant l’arrivée des islamistes au pouvoir (juin 1996-juin 1997) : Türkiye, quotidien ultra-nationaliste proche du parti MHP, a photographié Erbakan et Türkes priant côte à côte à la mosquée de Kocatepe (Ankara), signifiant la communauté de vues entre nationalistes du MHP et islamistes du Refah sur la Tchétchénie,  et symbolisant par cette nouvelle image la « synthèse turco-islamique », ce courant nationaliste qui estime que la nation turque a été et doit rester aux avant-postes de la défense de l'islam.

Dans le quotidien de gauche Yeni Yüzyılle même signifié (l'image d'un politicien en prière) prend une signification inverse et sert à dénoncer et avertir : Erbakan priant, cadré seul, y est présenté une fois de plus comme prétendant bigot à la fonction de chef du gouvernement. La menace islamiste est fortement ressentie en Turquie à cette époque, et les quotidiens laïcistes Sabah et Cumhuriyet préfèrent la montrer sous une forme inquiétante : la manifestation qui se déroule à Ankara, entre la mosquée centrale de Kocatepe et l’Assemblée nationale.

 

96.04.28 manif dudayev cum

 

La photographie publiée par Cumhuriyet (Tarık Tınazay), placée en première page et intitulée « Les partisans de la charia manifestent pour Dudaïev »  cherche à inquiéter par le désordre. Les manifestants viennent probablement de forcer un barrage de la police et se précipitent en se bousculant. Un policier, à droite, s’écarte vivement à leur passage, tandis qu’un autre les regarde en souriant. Le texte confirme l’impression visuelle : « On a remarqué que la police n’est pas intervenue contre les manifestants ». Au premier plan, un manifestant dresse l’index vers le ciel, signe du « tekbir », signe de ralliement des islamistes ; les autres, à sa suite, portent des drapeaux dont tout lecteur turc sait qu'ils sont verts, et des banderoles ornées de versets du coran. Le texte précise qu’ils crient « Vive le Hizbullah ». Mais aucun n’extériorise son engagement « islamiste » par une tenue particulière : apparemment, ce sont des jeunes Turcs ordinaires.

 

96.04.28 manif dudayev 2sa

 

Le même jour, Sabah cherche à inquiéter par d’autres signes : le photographe a étroitement cadré de véritables stéréotypes vivants : trois jeunes manifestants enturbannés et barbus. L’un, au premier plan, profil avantageux, porte un drapeau orné de versets du coran, un autre tend une banderole du Hizbullah, avec une calligraphie en arabe encadrée de deux cimeterres. Tous trois prennent fièrement la pose  devant un grand portrait de Dudaïev. La mosquée de Kocatepe est visible en arrière-plan.

Des scènes semblables se sont déroulées à Istanbul, sur la place de Beyazıt, un des lieux de manifestation traditionnels des islamistes, au centre historique de la Ville. Mais c’est à Ankara que sont présents les leaders islamiste et nationaliste, Erbakan et Türkes ; Ankara est le lieu du pouvoir, le lieu laïque par excellence de la Turquie kémaliste. Pour raviver la peur de la menace islamiste, la représentation de telles manifestations à Ankara est sans doute plus efficace.

 

 

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